Avec les collections poétiques et sensibles de Maison Fragile, Mary Castel revisite le made in France de la porcelaine.

Quand elle prononce le mot « fragile », c’est l’épithète « agile » que l’on entend aussi. En trois ans seulement, Mary Castel, la fondatrice de l’enseigne Maison Fragile, est parvenue à réveiller l’univers enchanté de la porcelaine de Limoges avec ses assiettes à dîner ou à dessert jetant des œillades à la fine fleur des arts et des lettres françaises. C’est le timide regard du couturier Yves Saint Laurent ou le profil racé de Coco Chanel s’imprimant sur les assiettes de la collection Chers Parisiens dessinée par l’artiste Jean-Michel Tixier. Sur les tasses à café assorties, ce sont des madeleines qui répondent au doux visage de Proust posé à même la soucoupe ou bien les doigts de Françoise Sagan tendus vers sa machine à écrire avec le regard complice de la romancière sur la sous-tasse.

L’épouse d’un galeriste en vue s’est entichée de la collection Constellations de la victoire reproduisant une série d’actions marquantes de l’équipe de France de football lors du dernier Mondial comme un bout de Voie lactée saisi au vol sur des assiettes bleu de four.

Une dizaine de coupelles aux motifs printaniers pour l’Elysée

Le palais de l’Elysée, quant à lui, a commandé une dizaine de coupelles aux motifs printaniers relevés d’or illustrés par Safia Ouares (Make Earth Great Again). « Mary Castel cochait toutes les cases d’un savoir-faire français bousculant les codes des arts de la table sans manquer de s’accorder très bien avec nos services anciens », explique Guillaume Gomez, le chef cuisinier du 55, rue du Faubourg-Saint-Honoré.

« J’ai connu ce que beaucoup d’entrepreneuses vivent devant leur banquier : on ne vous prend pas au sérieux« 

C’est Gaspard Gantzer, le conseiller en communication de François Hollande, qui a ouvert les portes du Château à Mary Castel en 2017. La quadra sortait de dix-huit années à orchestrer des campagnes publicitaires dans le domaine de la santé publique et des services. « Je n’avais pas un euro en poche ; Pôle emploi m’a bien aidée à monter ma boîte », raconte la maman de deux ados à propos de sa reconversion. Descendante picarde d’une lignée de porcelainiers de Vierzon, elle décide de renouer avec l’histoire familiale. Elle organise une levée de fonds et, 30.000 euros plus tard, peut lancer la production de sa première collection, Rue de Paradis, en référence à la boutique que gérait son arrière-grand-mère Henriette à proximité de la gare de l’Est. D’elle, elle avait hérité dix ans plus tôt un service de mariage de 80 pièces à l’esprit romantique.

Romain, son jeune frère graphiste, est mis à contribution ainsi que son père ingénieur, son oncle juriste, sa tante experte-comptable, etc. Elle actionne aussi son réseau. « Beaucoup d’amis m’ont soutenue, raconte celle qui a coutume au restaurant de retourner les assiettes pour en connaître la région de fabrication. Car, quand on ne vient pas d’une famille fortunée, les chances sont réduites pour se lancer. J’ai connu ce que beaucoup d’entrepreneuses vivent devant leur banquier : on ne vous prend pas au sérieux. »

Une première boutique fin mars

Quatre ans plus tard et après un joli succès en ligne et en magasins spécialisés, Mary Castel s’apprête à ouvrir sa première boutique rue de Turenne à Paris (3e), fin mars. En devanture, le logo revendique d’emblée la filiation avec une tradition et un ancrage militant. Le dessin s’est inspiré de la silhouette d’Henriette tenant une assiette comme s’il s’agissait de la planète. « Ce qui est beau est fragile, ce qui est fragile est précieux », précise le slogan maison.

L’engagement se retrouve dans Dame Nature, une collaboration avec Alain Passard. « Je fais une cuisine légumière, rappelle le chef triplement étoilé. J’ai mis à disposition une cinquantaine de collages de mes recettes dont se sont emparés Mary et son frère. Nous avons en France une des plus belles porcelaines au monde et son histoire est liée à la gastronomie. » « Alain est pionnier dans le retour à une consommation locale et à la force du végétal », complète l’entrepreneuse.

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