Première productrice au monde de fibre de lin, la France entend conquérir de nouveaux marchés et profiter de la hausse de la consommation en Inde et en Chine. Bon nombre de projets de filature sont en cours de développement.

Sous le ciel azuré de l’ancien comté de Flandre, près de l’ancienne cité fortifiée de Bergues, le disque chromatique de la campagne environnante diffuse toute une variété de tons verts. Seuls quelques édifices de briques rouges caractéristiques du Nord rompent cette harmonie verdoyante. Les champs de pommes de terre y côtoient les parcelles de blé. Mais, ce qui attire l’oeil du profane, ce sont de vastes espaces couverts d’une haute plante herbacée originaire d’Eurasie. En ce mois de juin, elle va donner une jolie fleur bleue éphémère. « Fleur de lin ne dure qu’un matin », selon le dicton du milieu.

Dans l’un des champs de la plaine, Pierre d’Arras inspecte l’évolution des tiges de lin qui s’étirent déjà sur un mètre de hauteur. Elles sont proches de la floraison.

Pierre d’Arras, à la tête de l’entreprise de teillage Van Robaeys Frères inspecte l’évolution des tiges de lin près de Killem, dans le nord de la France.

D’une caresse du bout des doigts, il peut déjà sentir, au faîte, les boutons, proches de l’éclosion. Bientôt, le champ offrira le spectacle d’une myriade de papillons bleus parmi l’immensité ondulante de la verdure. Depuis 2016 à la tête de Van Robaeys Frères, une entreprise de Killem fondée en 1917 par son arrière-grand-père Camille et son frère Julien, Pierre d’Arras est un teilleur. Son métier est d’extraire la fibre de lin de l’enveloppe externe de la tige de la plante. A l’issue du teillage, la fibre partira chez les filateurs puis les tisseurs et, en bout de chaîne, dans le monde de la confection pour élaborer liquettes, chemises, costumes et autres T-shirt 100 % lin.

La période est cruciale : « C’est juin qui fait ou défait le lin. » Les teilleurs, ces « hommes de la plaine » main dans la main avec les agriculteurs, déterminent le moment propice de l’arrachage du lin. Avant qu’il ne soit étendu à même le sol de la parcelle pour une seconde période cruciale, celle du rouissage.

Là, « durant un laps de temps de quelques semaines à plusieurs mois, les précipitations, la rosée matinale et le soleil vont aider les micro-organismes du sol à éliminer la pectose qui soude les fibres textiles à la partie ligneuse de la tige », explique Pierre d’Arras. Les teilleurs, avec le lin, sont comme les vignerons avec leurs raisins pour déterminer le juste temps de la récolte et de l’exploitation de la plante. Le rouissage achevé, la paille de lin est enroulée en ballot pour être transférée dans les locaux de l’entreprise de teillage et en extraire la fibre.

Une fois les tiges de lin arrachées, elles reposent à même le sol pour la période cruciale du rouissage.

Une plante écoresponsable

« Une tige donne en moyenne 22 % de fibres longues destinées à l’habillement, au linge de maison ou aux tissus d’ameublement. Il sort de 6 à 15 % de fibres courtes – l’étoupe – qui serviront aussi aux textiles techniques et matériaux composites. La moitié de la tige est constituée de bois, ce que nous appelons ‘l’anas’. La matière est utilisée dans les panneaux agglomérés, pour l’isolation, les litières ou comme source énergétique. Avec le lin, rien n’est perdu », détaille Pierre d’Arras.

Décomposition des matériaux – fibres longues et courtes, anas et graines – procurés après le teillage du lin.

Outre le textile, le lin, ultrarésistant, couplé à de la résine, sert dans l’industrie automobile et aéronautique du fait de son extrême résistance. Planches de surf, skis, casques de cycliste… Le champ des possibilités est étendu. L’entreprise Van Robaeys fournit même des fibres de lin à la Réserve fédérale américaine pour la fabrication du billet vert de 1 dollar.

La fibre de lin couplée à de la résine vu son extrême résistance trouve de nombreuses applications. Ici, un nouveau casque pour les cyclistes.

« Opérant sur une zone de 6.500 hectares, nous sortons en moyenne chaque année 8.000 tonnes de fibres longues, grâce à nos sept lignes de teillage. C’est l’équivalent de 4.000 tonnes de fil, sachant qu’il faut en moyenne 300 grammes de fil pour une chemise », explique-t-il. Dans l’année à venir, les teilleurs vont avoir du pain sur la planche. De la fibre, il va en falloir. Beaucoup. L’année 2021 et les suivantes s’annoncent sous les meilleurs auspices pour tous les professionnels de la filière.

« La demande mondiale de lin est en hausse. Si la consommation textile au sein de l’Union européenne est stable, elle progresse en Inde et en Chine avec l’émergence des classes moyennes et aisées demandeuses de produits en lin de haute qualité. Ces pays sont passés d’un statut de transformateurs de la fibre à celui de consommateur », commente Alix Pollet, directrice du pôle marque de Safilin, une entreprise familiale française de filature de lin et de chanvre.

« Au niveau mondial, la croissance du commerce électronique, l’importance grandissante du développement durable aux yeux du public et la nouvelle éthique des consommateurs sont autant de facteurs de développement du textile en lin », ajoute Marie-Emmanuelle Belzung, déléguée générale de la Confédération européenne du lin et du chanvre (CELC). « Le lin est perçu comme une fibre à haute qualité environnementale et même reconnue comme numéro un des fibres les plus vertueuses pour l’environnement en Chine, en France et en Italie », écrit la Confédération dans la dernière lettre de son observatoire économique du lin.

La mode s’empare du lin

Les grandes maisons de couture ne s’y sont pas trompées. « Dans les défilés printemps-été 2021, nous avons vu une hausse de plus de 100 % de la présence de lin dans leur collection. Grâce au talent des créateurs, le lin se refait une jeunesse. Nous ne sommes plus au temps des draps de lin grossiers de nos grands-mères. Chez Dior, Fendi ou Louis Vuitton, le lin est à l’honneur », témoigne Marie-Emmanuelle Belzung.

Aujourd’hui, six Européens sur dix souhaitent consommer moins mais mieux, et 64 % d’entre eux envisagent d’acheter des vêtements fabriqués à partir de matériaux écoresponsables, se disant prêts à payer plus cher des produits en lin certifiés, selon les dires de l’Institut Français de la Mode. « L’avantage du lin est qu’il est valorisé en totalité. Il n’y a aucune perte. Mais, surtout, il est écoresponsable. Sa cultureest peu exigeante en intrant », renchérit Bart Depourcq, président de la CELC.

Bref, l’engouement pour le lin est réel. En témoigne la campagne de promotion « j’aime le lin » du magasin BHV d’avril à juillet avec, notamment, l’implantation au coeur de Paris d’un champ de lin en pleine rue de Rivoli.

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